Dr Farid Benyahia – expert en économie, relations internationales et diplomatie, spécialiste dans les technologies avancées et président du cabinet d’expertise Intelligence Système, qui a rédigé des ouvrages dans le management, la nanotechnologie et les enjeux économiques de l’Algérie – a insisté dans son entretien avec Maghreb Info sur l’importance de la volonté politique pour améliorer la stratégie économique du pays en 2022.
Maghreb Info : L’Algérie veut se concentrer sur le développement des exportations hors hydrocarbures. Pensez-vous qu’elle pourrait augmenter ses recettes dans ce secteur en 2022 ?
Farid Benyahia : Il faut réunir des conditions pour que l’Algérie réalise ces recettes. Il faut avoir une économie pragmatique. Les contraintes qui existent actuellement en terme financier sont à cause de la pandémie internationale qui a créé beaucoup de déséquilibre mondial, à l’exception de quelques pays, à l’instar de la Chine. Pour le cas de l’Algérie, nous dépondons toujours du pétrole. Néanmoins, nous avons constaté durant les 30 ans passés que le pétrole n’a pas de prix stable. Donc, nous ne pouvons pas continuer sur une stratégie qui construit notre économie uniquement sur le pétrole et le gaz. Il faut avoir une vision politique. Les décideurs du pays doivent décider quel chemin à entreprendre pour l’Algérie et quel est le chemin le plus court pour arriver avec les G20. Nous devons diagnostiquer l’industrie et il y a pas mal d’assises économique ces derniers temps mais sans décision. Le Président et le Premier ministre parlent de bonnes choses mais sur le terrain, nous ne voyons rien de concret.
Selon le ministre du Commerce, la recette d’exportation hors hydrocarbures a connu une hausse. Ce n’est pas une preuve de réalisation économique sur le terrain ?
Nous avons exploité 4.5 milliards de dollars, cela est vrai et un bon début, mais elle reste insuffisante par rapport à la taille de l’Algérie. L’exploit est un métier et nous avions été absents pendants 20 ans. Sur le plan exportation, nous avons plusieurs produits que nous pouvons vendre à l’international, notamment pour les pays africains, mais il faut avoir une production suffisante. Il faut parler d’un modèle économique pragmatique, avoir un plan économique du futur et tracer le chemin étape par étape. Le problème, c’est au niveau des grands conseillers qui doivent modéliser ce qu’a dit le président de la République comme un programme.
Quel est l’avenir du secteur des hydrocarbures dans les perspectives de 2022 ?
Farid Benyahia : Le secteur des hydrocarbures a encore de l’avenir surtout pour le gaz. Nous avons jusqu’à 2030 ou 2050 pour le gaz. Les énergies du futur, ce sont les énergies renouvelables. Actuellement, nous ne pouvons pas investir dans le Desertec. Pour moi, c’est un investissement lourd qui ne rapporte pas beaucoup choses car c’est cher, les équipements sont de l’étranger et la maintenance fait défaut. Nous pouvons commencer par des investissements de 150 et 200 millions de dollars, des investissements privés et de faire la recherche. Le monde entier actuellement fait la recherche fondamentale avec la recherche appliquée pour essayer d’améliorer le stockage de l’énergie renouvelable solaire.
Quels sont les projets dans le secteur des énergies renouvelables en Algérie à commencer ?
Il faut commencer à réaliser des stations acceptables pour maitriser les projets. Par exemple, s’il y a des hôpitaux ou des casernes dans le Sud, nous pouvons les équiper avec des panneaux photovoltaïques mobiles. Pour faire des stations avec des panneaux photovoltaïques qui remplacent les stations de gaz, nous ne sommes pas encore arrivés à ce stade.
Faut-il faire des collaborations avec des pays étrangers pour avoir le financement de réaliser les grands projets dans les énergies renouvelables ?
A combien revient le coût du kilowatt en gaz, au charbon et à un autre produit ? Il y a un problème de fond. C’est pour cette raison qu’il faut faire des études et remplacer le pétrole et le gaz graduellement. L’industrie automobile va avoir d’ici 10 ans un changement, et presque toute l’Europe va fonctionner avec l’énergie électrique. Il faut donc investir dans les stations nucléaires de 3e et 4e générations. Nous avons de l’uranium, je pense qu’il faut faire des stations dans ce sens, qui est une bonne solution et dont le coût est moins cher par rapport au solaire ou l’héliothermique et même l’hydrogène.
La numérisation du secteur économique est devenue une nécessité. Quels sont les principaux axes à suivre ?
Il faut d’abord avoir une stratégie du numérique et puis il y a des bureaux spécialisés pour faire ce choix. Nous préparons un cahier des charges national et international, ensuite nous pouvons choisir quelle technologie, pour la large bande, la capacité d’internet, etc. Nous lançons après des formations de mise à niveau dans toutes les structures telles que les APW, les APC, les directions des wilayas, les hôpitaux, e-health, e-learning, e-commerce, e-gouvernement, e-researche, donc le tout. Nous aurons besoin de la 5G et peut-être la 6G en 2030, de larges bandes, de plates-formes de sécurité en cas de tremblement de terre ou de guerre dans le Grand Sud algérien. Il faut également mettre des taxes très significatives pour les équipements des TIC. Ce que nous avons constaté, c’est que le président de la République encourage les start-up et les incubateurs, et en contre partie, les taxes douanières sont très élevées par rapport aux équipements informatiques. Il faut encourager les industriels électroniques et avoir notre propre industrie des TIC avec le ministère de l’Industrie et le ministère des Télécommunications, ensuite passer au programme d’exécution et faire vite. Nous sommes très en retard mais nous pouvons gagner du temps si nous avons la volonté politique car nous avons la base.
Entre augmentation du taux de chômage et l’encouragement de la création des petites et moyennes entreprises pour les jeunes, comment peut-on améliorer le secteur de l’entrepreneuriat et créer de l’emploi ?
Il faut faire un plan national de l’emploi à travers la préparation d’une conférence nationale sur l’emploi qui rassemble le patronat, les syndicats, les universités, la formation professionnelle, l’association des chômeurs, avec des experts et le gouvernement pendant deux jours pour débattre des éléments clés et organiser des ateliers, en remettant un travail sérieux avec des statistiques après trois mois. Nous avons beaucoup de diplômés universitaires mais seulement 15 ou 20% qui sont du domaine technique. Est-ce que nous ne devons pas réformer l’université pour avoir de nouveaux métiers ? Est-ce que nous ne devons pas réformer la formation professionnelle et collaborer avec des étrangers pour mettre à niveau nos écoles qui sont toujours dans le classique ? A partir de cette étape, nous ouvrons les portes à l’investissement aux Algériens et aux étrangers. Pour les secteurs, nous pouvons investir dans l’automobile, les mines, l’énergie, l’eau, la construction navale et autres pôles. Il y a environ 300 entreprises qui peuvent se lancer rapidement en 2022. La construction des infrastructures de base comme les bâtiments, l’hydraulique, l’agriculture est aussi importante à investir. Il faut également accompagner les investisseurs par les banques, laisser les capitaux étrangers entrer, avoir une nouvelle monnaie et faire des réformes. Dans tout cela, je pense qu’il faut avoir un document secret. La stratégie doit être faite au niveau de la présidence de la République avec un groupe restreint des conseillers et de grands experts.
Le pouvoir d’achat en Algérie s’est dégradé et la valeur du dinar par rapport à l’euro et au dollar a baissé. Que doit faire le gouvernement en 2022 pour trouver une solution ?
La première des choses, c’est de savoir quels sont nos moyens pour satisfaire notre peuple et quelle est sa demande. Avec l’ONS, nous refaisons nos calculs. Le panier de 2022 n’est plus le même que les années 70. L’Algérien a besoin d’internet, de véhicule, d’un appartement et autres. Une famille algérienne d’un couple avec deux ou trois enfants, pour qu’elle puisse vivre à un niveau moyen, a besoin au minimum 70 000 à 80 000 DA par mois, alors qu’il y a des gens qui touchent seulement 25 000 DA de salaire. Il faut revoir la distribution des salaires, avoir une nouvelle monnaie et essayer d’augmenter les capacités d’exportation à travers une bonne politique et un accompagnement étranger en donnant la part du lion à l’Algérie.